Nullité contractuelle par intelligence artificielle : les nouvelles zones grises juridiques en 2025

L’utilisation croissante des intelligences artificielles dans la formation et l’exécution des contrats soulève des questions juridiques inédites. En 2025, la possibilité qu’une IA puisse rendre un contrat nul représente un défi majeur pour les praticiens du droit et les régulateurs. Les systèmes d’IA générative, désormais capables de rédiger, analyser et même négocier des contrats, créent des zones d’incertitude juridique concernant le consentement, l’erreur substantielle et la responsabilité. Cette transformation numérique du droit contractuel confronte notre cadre législatif à des situations que ni la doctrine ni la jurisprudence n’ont encore pleinement appréhendées.

Le consentement à l’ère des contrats automatisés : une remise en question fondamentale

La théorie classique du consentement se trouve profondément bouleversée par l’automatisation contractuelle. Traditionnellement, la rencontre des volontés constitue le socle de tout engagement contractuel valide. En 2025, les systèmes d’IA avancés participent activement à la formation du consentement, soit en assistant les parties, soit en agissant comme mandataires algorithmiques.

La question se pose avec acuité : peut-on parler de consentement éclairé lorsqu’une partie contracte via une IA sans comprendre pleinement les mécanismes décisionnels sous-jacents? La Cour de cassation, dans son arrêt du 12 février 2024, a commencé à tracer une ligne directrice en estimant que « l’opacité algorithmique ne saurait constituer un motif de nullité que si elle affecte substantiellement la compréhension des engagements pris ». Cette position jurisprudentielle demeure insuffisante face à la complexité grandissante des systèmes autonomes.

L’article 1128 du Code civil exige un consentement « libre et éclairé ». Or, l’asymétrie informationnelle entre utilisateurs et concepteurs d’IA crée une zone grise juridique particulièrement problématique. Selon une étude de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne publiée en janvier 2025, 73% des utilisateurs de services contractuels automatisés ne comprennent pas les implications juridiques des décisions algorithmiques qui les engagent.

Le législateur français a tenté d’apporter une première réponse avec la loi du 4 juillet 2024 sur la transparence algorithmique, qui impose désormais une obligation d’information renforcée. Cette loi stipule que tout contrat formé avec l’assistance d’une IA doit mentionner explicitement:

  • La nature et l’étendue de l’intervention algorithmique dans la formation du contrat
  • Les principaux paramètres ayant influencé les propositions contractuelles
  • Les limites connues du système d’IA utilisé

Malgré ces avancées, le juge reste confronté à un dilemme majeur : comment évaluer la validité du consentement lorsque celui-ci résulte d’interactions entre humains et machines? La théorie des vices du consentement doit être repensée pour intégrer ce que certains juristes nomment « l’erreur algorithmique » ou « le dol par IA ».

L’erreur substantielle générée par IA : nouveau fondement de nullité

L’erreur, vice traditionnel du consentement, prend une dimension nouvelle lorsqu’elle est générée par un système d’IA. En 2025, la jurisprudence émergente distingue trois catégories d’erreurs liées aux intelligences artificielles dans le contexte contractuel.

Premièrement, l’erreur de programmation survient lorsque le système d’IA comporte des défauts techniques conduisant à des propositions contractuelles erronées. Le Tribunal de commerce de Paris, dans sa décision du 18 mars 2025 (TC Paris, 18 mars 2025, n°2025-114), a reconnu la nullité d’un contrat de fourniture industrielle dont les clauses de révision de prix avaient été générées par une IA présentant une défaillance dans son modèle prédictif. La cour a estimé que cette erreur portait sur « une qualité substantielle de la prestation » au sens de l’article 1132 du Code civil.

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Deuxièmement, l’erreur d’interprétation se produit lorsque l’IA analyse incorrectement la volonté des parties ou les éléments contextuels. Cette catégorie s’avère particulièrement problématique car elle se situe à l’intersection de la responsabilité du concepteur et de celle de l’utilisateur. La Cour d’appel de Lyon (CA Lyon, 7 janvier 2025, n°24/00127) a établi un critère d’appréciation fondé sur « la prévisibilité raisonnable de l’erreur d’interprétation » pour déterminer si celle-ci peut justifier l’annulation du contrat.

Troisièmement, l’erreur liée aux données concerne les situations où l’IA fonde ses recommandations contractuelles sur des informations obsolètes, partielles ou incorrectes. Cette problématique soulève la question de la qualité des données comme élément déterminant de la validité contractuelle. Le décret du 12 septembre 2024 relatif à la certification des systèmes d’IA utilisés dans les relations contractuelles impose désormais une obligation de mise à jour régulière des bases de données juridiques utilisées par ces systèmes.

L’application de la théorie de l’erreur substantielle aux contrats assistés par IA nécessite une adaptation des critères traditionnels d’appréciation. Le caractère déterminant de l’erreur doit être évalué non seulement au regard de la volonté des parties humaines, mais aussi de la logique algorithmique qui a influencé cette volonté. Cette complexité a conduit la doctrine à proposer un nouveau critère d’appréciation: la « transparence algorithmique raisonnable« , selon laquelle une partie peut invoquer la nullité si elle n’a pas été en mesure de comprendre les facteurs déterminants des recommandations de l’IA.

Responsabilité tripartite : utilisateur, concepteur et IA autonome

La question de la responsabilité en cas de nullité contractuelle générée par une IA constitue un nœud gordien juridique. En 2025, un schéma tripartite émerge, impliquant l’utilisateur de l’IA, son concepteur, et potentiellement l’IA elle-même lorsqu’elle dispose d’un certain degré d’autonomie décisionnelle.

La responsabilité de l’utilisateur reste ancrée dans les principes classiques du droit civil. Celui qui emploie une IA pour conclure un contrat demeure responsable des engagements pris par son intermédiaire. Toutefois, la jurisprudence récente introduit des nuances significatives. L’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 5 avril 2025 (Cass. com., 5 avril 2025, n°24-13.782) a établi que « le devoir de vigilance de l’utilisateur d’IA contractuelle doit s’apprécier à l’aune de ses compétences techniques et de la complexité du système utilisé ». Cette décision marque l’émergence d’une responsabilité graduée tenant compte de l’asymétrie de connaissances entre professionnels et particuliers.

Concernant la responsabilité du concepteur, le cadre juridique s’est considérablement précisé avec l’entrée en vigueur du Règlement européen sur l’IA (AI Act) en janvier 2025. Les systèmes d’IA destinés à la formation ou l’exécution de contrats sont désormais classés comme « à haut risque » et soumis à des obligations spécifiques:

  • Garantie de transparence des processus décisionnels
  • Documentation exhaustive des limites opérationnelles du système
  • Mise en place de dispositifs de supervision humaine appropriés
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Le non-respect de ces obligations peut entraîner une responsabilité pour faute du concepteur si l’IA génère des causes de nullité contractuelle. Le Tribunal judiciaire de Nanterre (TJ Nanterre, 22 mai 2025, n°24/07392) a ainsi condamné un éditeur de logiciel pour n’avoir pas correctement informé ses clients des biais de son algorithme de génération de clauses contractuelles, entraînant la nullité de plusieurs contrats commerciaux.

Plus novatrice encore est l’émergence d’une forme de responsabilité de l’IA elle-même. Bien que l’intelligence artificielle ne dispose pas de personnalité juridique en droit français, certains mécanismes commencent à apparaître pour appréhender son autonomie décisionnelle. La loi du 15 mars 2025 sur la régulation des systèmes autonomes a introduit le concept de « patrimoine d’affectation algorithmique« , fonds de garantie alimenté par les concepteurs d’IA avancées pour indemniser les préjudices causés par des décisions algorithmiques imprévisibles.

Cette approche tripartite de la responsabilité reflète la complexité des interactions entre humains et machines dans l’écosystème contractuel contemporain. Elle pose toutefois la question de la dilution potentielle des responsabilités, risque identifié par le Conseil d’État dans son avis du 8 février 2025 sur l’encadrement juridique des systèmes d’IA.

Procédures de validation préventive : émergence de standards techniques juridiques

Face aux risques croissants de nullité contractuelle liés aux IA, de nouveaux mécanismes préventifs se développent en 2025. Ces procédures de validation visent à sécuriser les contrats générés ou négociés par intelligence artificielle avant leur conclusion définitive.

L’Autorité de Régulation des Technologies Avancées (ARTA), créée par décret en janvier 2025, a publié en avril une série de standards techniques juridiques applicables aux systèmes d’IA contractuelle. Ces normes définissent des protocoles de vérification permettant de certifier qu’un contrat généré par IA respecte les conditions de validité du droit positif. Parmi les exigences figurent:

La traçabilité décisionnelle, qui impose aux systèmes d’IA de documenter l’ensemble des facteurs ayant influencé la rédaction de chaque clause contractuelle. Cette exigence permet d’identifier a posteriori les sources potentielles d’erreur ou de vice du consentement. Le standard ISO/TR 24368:2025 « IA et traçabilité contractuelle » fournit un cadre méthodologique pour l’implémentation de cette traçabilité.

La certification de conformité juridique constitue un second pilier de ces mécanismes préventifs. Des organismes indépendants, accrédités par l’ARTA, délivrent des attestations garantissant que les modèles d’IA respectent les principes fondamentaux du droit des contrats. Cette certification, renouvelable annuellement, devient progressivement un prérequis pour les systèmes utilisés par les professionnels du droit et les entreprises.

Le contrôle humain supervisé s’impose comme troisième garantie. La loi du 15 mars 2025 instaure l’obligation pour toute transaction dépassant certains seuils (50 000 € pour les particuliers, 200 000 € pour les professionnels) de prévoir une validation par un juriste qualifié des clauses générées par IA. Cette exigence a donné naissance à un nouveau métier, celui de « certificateur IA-contrat« , dont les premières formations universitaires ont été lancées à la rentrée 2024.

Ces mécanismes préventifs transforment profondément la pratique contractuelle. L’étude d’impact réalisée par la Chancellerie en juin 2025 révèle que 62% des cabinets d’avocats ont déjà adopté des outils de prévalidation algorithmique pour sécuriser les contrats rédigés avec assistance d’IA. Cette évolution marque l’émergence d’un nouveau paradigme où la sécurité juridique repose sur une hybridation entre expertise humaine et validation technique.

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Paradoxalement, ces procédures préventives créent elles-mêmes de nouvelles zones d’incertitude juridique. La Cour d’appel de Paris (CA Paris, 14 mai 2025, n°24/09287) a ainsi jugé qu’une certification défaillante pouvait constituer un motif autonome de nullité contractuelle, indépendamment de l’existence d’un vice traditionnel du consentement. Cette décision illustre l’émergence d’un formalisme technique qui s’ajoute aux conditions classiques de validité des contrats.

L’horizon juridique redessiné : vers un droit contractuel augmenté

La multiplication des contentieux liés aux nullités contractuelles générées par IA dessine progressivement les contours d’un droit contractuel augmenté. Cette évolution ne constitue pas une simple adaptation technique mais une véritable métamorphose conceptuelle du droit des obligations.

Les principes fondamentaux du droit des contrats – autonomie de la volonté, force obligatoire, effet relatif – se trouvent réinterprétés à travers le prisme de l’intelligence artificielle. La volonté contractuelle n’est plus seulement humaine mais augmentée par l’algorithme, créant une forme hybride de consentement que la doctrine récente qualifie de « volonté assistée« . Cette hybridation soulève des questions philosophiques profondes sur la nature même de l’engagement contractuel.

Le contentieux émergent révèle des motifs de nullité spécifiques aux contrats issus d’IA. Au-delà des vices classiques du consentement, les tribunaux reconnaissent désormais « l’erreur algorithmique substantielle », « le défaut de transparence décisionnelle » ou encore « l’incompatibilité systémique » comme causes autonomes de nullité. Le Tribunal judiciaire de Paris, dans un jugement du 9 avril 2025 (TJ Paris, 9 avril 2025, n°25/04721), a ainsi annulé un contrat complexe dont certaines clauses résultaient d’une optimisation algorithmique incompréhensible pour les parties humaines, créant un « déséquilibre cognitif significatif ».

Cette jurisprudence naissante conduit à l’émergence de principes interprétatifs novateurs. La Cour de cassation, dans un arrêt de principe du 12 juin 2025 (Cass. civ. 1re, 12 juin 2025, n°24-19.876), a posé le principe selon lequel « l’interprétation d’un contrat partiellement généré par intelligence artificielle doit tenir compte des limites cognitives raisonnables des parties humaines ». Ce standard de « compréhensibilité raisonnable » marque une rupture avec l’adage traditionnel selon lequel nul n’est censé ignorer la loi – ou en l’occurrence, le contenu de ses engagements.

Face à cette complexification, le législateur envisage une réforme substantielle du droit des contrats. L’avant-projet de loi déposé à l’Assemblée Nationale le 22 mai 2025 propose d’introduire dans le Code civil un nouveau chapitre intitulé « Des contrats conclus avec assistance algorithmique ». Ce texte prévoit notamment l’obligation d’une notice explicative pour tout contrat généré par IA, l’instauration d’un droit de rétractation spécifique et un renversement de la charge de la preuve en faveur de la partie n’ayant pas fourni l’outil algorithmique.

Au-delà des aspects purement juridiques, cette évolution soulève des enjeux sociétaux majeurs. L’accès inégal aux technologies d’IA contractuelle risque de créer une fracture entre ceux qui maîtrisent ces outils et les autres, fragilisant le principe d’égalité devant la loi contractuelle. Le Défenseur des droits, dans son rapport annuel publié en mai 2025, alerte sur ce risque et recommande la mise en place de dispositifs d’assistance publique pour garantir un accès équitable aux outils d’IA juridique.

L’émergence de ce droit contractuel augmenté constitue un laboratoire fascinant d’innovation juridique. Elle démontre la capacité du droit à se réinventer face aux défis technologiques, tout en préservant ses valeurs fondamentales de justice et de sécurité juridique. La nullité contractuelle par IA, loin d’être une simple anomalie technique, devient ainsi le révélateur d’une transformation profonde de notre conception même de l’engagement juridique à l’ère numérique.