La réforme de l’épargne retraite instaurée par la loi PACTE en 2019 a redéfini le paysage des produits d’épargne longue durée en France avec l’introduction du Plan d’Épargne Retraite (PER). Ce dispositif, qui remplace progressivement les anciens contrats (PERP, Madelin, PERCO), offre une flexibilité accrue aux épargnants, notamment concernant les modalités de sortie. Si la sortie en capital a été mise en avant comme une innovation majeure, les sorties programmées constituent une option stratégique souvent méconnue. Ces dernières permettent un désinvestissement progressif et planifié, avec des implications fiscales spécifiques qui méritent une attention particulière. Cet examen approfondi du cadre réglementaire des sorties programmées du PER vise à éclairer les épargnants sur les conditions, avantages et considérations fiscales de cette modalité de récupération de l’épargne retraite.
Fondements juridiques et caractéristiques des sorties programmées du PER
Les sorties programmées du Plan d’Épargne Retraite s’inscrivent dans un cadre juridique précis, défini principalement par l’ordonnance n° 2019-766 du 24 juillet 2019 et le décret n° 2019-807 du 30 juillet 2019. Ces textes fondateurs de la réforme du PER établissent les différentes modalités de sortie possibles à l’échéance du contrat, parmi lesquelles figurent les sorties programmées.
Contrairement à une idée répandue, les sorties programmées ne constituent pas un mode de sortie distinct à proprement parler, mais plutôt une modalité d’application de la sortie en capital. Elles permettent au titulaire d’un PER de fractionner la récupération de son épargne selon un calendrier prédéfini, offrant ainsi une alternative médiane entre la rente viagère traditionnelle et la sortie en capital unique.
D’un point de vue technique, les sorties programmées correspondent à des rachats partiels réguliers effectués sur le contrat. Le Code des assurances et le Code monétaire et financier encadrent ces opérations, en précisant notamment que :
- Les sorties programmées peuvent être mises en place au moment du départ en retraite ou à l’âge légal de départ à la retraite
- Elles concernent uniquement la part du capital issue des versements volontaires et de l’épargne salariale
- Leur fréquence peut être mensuelle, trimestrielle, semestrielle ou annuelle
- Le montant et la durée des versements peuvent être modifiés à tout moment
La loi PACTE a considérablement assoupli les conditions de sortie des produits d’épargne retraite, rendant les sorties programmées particulièrement intéressantes d’un point de vue stratégique. Cette flexibilité représente une évolution significative par rapport aux anciens dispositifs d’épargne retraite, où la sortie en rente était souvent obligatoire pour tout ou partie de l’épargne.
Il convient de noter que le cadre juridique des sorties programmées varie légèrement selon la nature du PER souscrit. Pour les PER individuels (anciennement PERP et Madelin), l’article L. 224-5 du Code monétaire et financier prévoit que les droits correspondant aux versements volontaires peuvent être liquidés sous forme de capital, fractionné ou non. Pour les PER d’entreprise (anciennement PERCO et Article 83), des dispositions similaires s’appliquent, avec quelques nuances concernant les compartiments d’épargne salariale.
Enfin, le décret n° 2019-807 précise les conditions dans lesquelles les sorties programmées peuvent être mises en œuvre, notamment en termes de valorisation des actifs sous-jacents et de sécurisation progressive de l’épargne à l’approche de l’échéance (principe de la gestion pilotée). Cette sécurisation devient particulièrement pertinente dans le cadre des sorties programmées, puisqu’une partie des actifs reste investie pendant toute la durée du processus de désinvestissement.
Régime fiscal des sorties programmées : principes généraux
Le traitement fiscal des sorties programmées du Plan d’Épargne Retraite constitue un élément déterminant dans la stratégie de désinvestissement. La loi de finances et le Code général des impôts (CGI) établissent un cadre distinct selon l’origine des versements et la nature des sommes perçues.
En matière fiscale, les sorties programmées suivent le même régime que les sorties en capital, mais avec une particularité fondamentale : l’étalement dans le temps permet une optimisation potentielle de la pression fiscale. Chaque rachat partiel se compose de deux éléments distincts fiscalement :
- La part correspondant au capital investi (versements initiaux), qui n’est pas soumise à l’impôt sur le revenu
- La part correspondant aux plus-values générées, qui fait l’objet d’une imposition spécifique
Pour les versements volontaires ayant bénéficié d’une déduction fiscale à l’entrée (déduction du revenu imposable selon l’article 163 quatervicies du CGI), la fiscalité des sorties programmées prévoit que :
– La part correspondant au capital est soumise au barème progressif de l’impôt sur le revenu.
– Les plus-values sont assujetties au Prélèvement Forfaitaire Unique (PFU) de 30% (12,8% d’impôt + 17,2% de prélèvements sociaux) ou, sur option, au barème progressif de l’impôt sur le revenu.
Pour les versements volontaires n’ayant pas fait l’objet d’une déduction fiscale à l’entrée (option prévue par l’article L. 224-20 du Code monétaire et financier), le régime est plus favorable :
– La part correspondant au capital est exonérée d’impôt sur le revenu.
– Seules les plus-values sont soumises au PFU de 30% ou, sur option, au barème progressif.
Concernant les sommes issues de l’épargne salariale (participation, intéressement, abondement employeur), les sorties programmées bénéficient d’un régime fiscal particulièrement avantageux :
– Le capital est totalement exonéré d’impôt sur le revenu.
– Les plus-values sont uniquement soumises aux prélèvements sociaux de 17,2%.
Il est à noter que la Direction Générale des Finances Publiques (DGFiP) a apporté des précisions sur l’application de ces règles dans le Bulletin Officiel des Finances Publiques (BOFiP), notamment concernant la détermination de la fraction imposable des rachats partiels. Celle-ci s’effectue selon la formule suivante :
Fraction imposable = Montant du rachat × (Valeur de rachat totale – Montant des primes versées) / Valeur de rachat totale
Cette formule permet de déterminer avec précision la part de plus-value contenue dans chaque sortie programmée, et donc la base taxable applicable. Le BOFiP-Impôts BOI-RSA-PENS-30-10 détaille ces aspects techniques et fournit des exemples d’application.
Stratégies d’optimisation fiscale des sorties programmées
L’un des avantages principaux des sorties programmées réside dans les possibilités d’optimisation fiscale qu’elles offrent. En fragmentant la récupération du capital, le titulaire d’un PER peut mettre en œuvre diverses stratégies pour minimiser l’impact fiscal global de son épargne retraite.
La première stratégie consiste à calibrer le montant des rachats annuels pour rester sous des seuils fiscaux avantageux. En effet, le barème progressif de l’impôt sur le revenu comporte plusieurs tranches, et l’ajout massif de revenus supplémentaires peut faire basculer le contribuable dans une tranche supérieure. Les sorties programmées permettent d’étaler cette charge et de maintenir, dans certains cas, une pression fiscale modérée.
Pour optimiser cette approche, il convient d’analyser la structure des revenus du retraité et de déterminer un montant de rachat annuel qui complète ces revenus sans provoquer un effet de seuil préjudiciable. La loi de finances fixe chaque année les tranches du barème, dont la connaissance est indispensable pour cette planification.
Une deuxième stratégie concerne la durée des sorties programmées. En étalant les rachats sur une période plus longue, le titulaire peut :
- Réduire le montant imposable chaque année
- Bénéficier plus longtemps de l’effet de capitalisation sur le capital restant investi
- Adapter ses revenus complémentaires à l’évolution de ses besoins réels
L’arbitrage entre PFU et barème progressif
Pour la part correspondant aux plus-values, le choix entre le Prélèvement Forfaitaire Unique (PFU) et le barème progressif constitue un levier d’optimisation significatif. Selon la doctrine administrative, ce choix peut être effectué chaque année lors de la déclaration de revenus, ce qui offre une flexibilité supplémentaire.
Pour les contribuables dont le taux marginal d’imposition est inférieur à 12,8%, l’option pour le barème progressif peut s’avérer plus avantageuse. À l’inverse, pour ceux dont le taux marginal dépasse ce seuil, le PFU représente généralement l’option la plus favorable.
La combinaison des compartiments
Une stratégie plus élaborée consiste à jouer sur les différents compartiments du PER pour optimiser la fiscalité globale. En effet, le PER comporte trois compartiments distincts :
1. Les versements volontaires
2. L’épargne salariale
3. Les versements obligatoires
Chacun obéit à des règles fiscales propres. Une approche stratégique peut consister à programmer en priorité les sorties des compartiments les plus favorables fiscalement (épargne salariale), puis à intégrer progressivement les autres compartiments selon les besoins et la situation fiscale du titulaire.
La jurisprudence du Conseil d’État a confirmé que le titulaire dispose d’une liberté dans le choix des compartiments à liquider en priorité, sous réserve des dispositions contractuelles spécifiques du PER souscrit.
Enfin, il est pertinent de considérer l’impact des sorties programmées sur d’autres dispositifs fiscaux et sociaux, notamment :
– La contribution sociale généralisée (CSG) et la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) applicables aux revenus de remplacement, dont le taux varie selon le revenu fiscal de référence.
– Les éventuels crédits et réductions d’impôt dont le plafonnement dépend du revenu global.
– L’éligibilité à certaines aides sociales conditionnées par les ressources.
Ces considérations doivent faire partie d’une analyse globale de la situation du retraité pour déterminer la stratégie de sorties programmées la plus adaptée à son profil et à ses objectifs.
Aspects pratiques et contractuels des sorties programmées
La mise en place de sorties programmées sur un Plan d’Épargne Retraite comporte des aspects pratiques et contractuels qui méritent une attention particulière. Ces éléments, bien que techniques, peuvent avoir une incidence significative sur l’efficacité du dispositif et sa pertinence pour le titulaire.
En premier lieu, l’instauration de sorties programmées nécessite une démarche formelle auprès du gestionnaire du PER, généralement une compagnie d’assurance, une mutuelle ou un établissement bancaire. Cette demande doit préciser plusieurs paramètres essentiels :
- La date de début des sorties programmées
- La périodicité choisie (mensuelle, trimestrielle, semestrielle ou annuelle)
- Le montant ou le pourcentage de chaque rachat
- La durée envisagée ou le nombre total de rachats prévus
- Les modalités de versement (compte bancaire destinataire)
Ces éléments font l’objet d’un avenant au contrat initial, conformément aux dispositions de l’article R. 224-16 du Code monétaire et financier. Cet avenant précise les conditions dans lesquelles le titulaire peut modifier ultérieurement ces paramètres, ce qui constitue l’un des avantages majeurs des sorties programmées par rapport à d’autres modes de sortie plus rigides.
Frais et coûts associés
Les sorties programmées peuvent engendrer des frais spécifiques, variables selon les établissements gestionnaires. L’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) et l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) veillent à la transparence de ces frais, qui doivent être clairement mentionnés dans les documents contractuels.
On distingue généralement :
– Des frais de mise en place des sorties programmées (souvent forfaitaires)
– Des frais sur chaque rachat partiel (généralement un pourcentage du montant racheté)
– Des frais de gestion qui continuent à s’appliquer sur le capital restant investi
L’impact de ces frais sur le rendement net des sorties programmées doit être évalué avec soin, notamment en comparaison avec d’autres modalités de sortie comme la rente viagère ou la sortie en capital unique.
Gestion financière pendant la phase de désinvestissement
Un aspect souvent négligé des sorties programmées concerne la gestion financière du capital restant investi. Contrairement à une sortie en capital unique, où l’intégralité de l’épargne est désinvestie en une fois, les sorties programmées impliquent qu’une partie substantielle du capital demeure investie pendant toute la durée du processus.
Cette caractéristique soulève plusieurs questions stratégiques :
– Quelle allocation d’actifs privilégier pendant cette phase ?
– Comment équilibrer sécurité et recherche de performance ?
– Faut-il maintenir une gestion pilotée ou opter pour une gestion libre ?
La réglementation des PER autorise le titulaire à modifier l’allocation de son épargne même pendant la phase de désinvestissement. Cette flexibilité permet d’adapter la stratégie d’investissement aux conditions de marché et à l’horizon temporel restant.
Selon les recommandations de l’AMF, une approche équilibrée consiste généralement à :
– Sécuriser progressivement les sommes qui feront l’objet des rachats à court terme
– Maintenir une exposition plus dynamique pour le capital dont le rachat est prévu à moyen ou long terme
– Réévaluer périodiquement cette allocation en fonction de l’évolution des marchés financiers
Implications successorales
Les sorties programmées ont des implications en matière successorale qui diffèrent de celles des autres modes de sortie. Tant que le capital n’est pas entièrement racheté, les sommes restant sur le PER conservent leur nature d’épargne retraite et bénéficient du cadre fiscal spécifique prévu par l’article 757 B du CGI en cas de décès du titulaire.
Ainsi, en cas de décès pendant la phase de désinvestissement programmé :
– Le capital restant est transmis aux bénéficiaires désignés
– Pour les versements effectués avant 70 ans, l’exonération de droits de succession s’applique dans la limite de 152 500 € par bénéficiaire (article 990 I du CGI)
– Pour les versements effectués après 70 ans, seuls les droits sur la fraction excédant 30 500 € sont dus (article 757 B du CGI)
Cette dimension successorale peut constituer un argument supplémentaire en faveur des sorties programmées par rapport à une sortie en capital unique, notamment dans une optique de transmission patrimoniale optimisée.
Perspectives d’évolution et adaptations stratégiques face aux réformes
Le cadre réglementaire des sorties programmées du Plan d’Épargne Retraite n’est pas figé et connaît des évolutions régulières qui nécessitent une veille attentive de la part des épargnants et de leurs conseillers. Plusieurs facteurs influencent ces évolutions et doivent être pris en compte dans une vision prospective.
En premier lieu, les lois de finances successives peuvent modifier les paramètres fiscaux applicables aux sorties programmées. Ces ajustements, parfois substantiels, concernent notamment :
– Les taux d’imposition (modification du PFU ou des tranches du barème progressif)
– Les prélèvements sociaux
– Les abattements et dispositifs d’atténuation fiscale
La réforme des retraites, sujet récurrent dans le débat public français, peut avoir des répercussions indirectes sur le cadre des sorties programmées. L’allongement de la durée de cotisation, le recul de l’âge légal de départ ou la modification des paramètres de calcul des pensions peuvent influencer les stratégies de désinvestissement des PER.
Face à ces incertitudes réglementaires, une approche adaptative s’impose. Les épargnants avisés privilégient des stratégies suffisamment souples pour être réajustées en fonction des évolutions législatives et réglementaires.
Innovations contractuelles et nouvelles options
Les établissements financiers et les compagnies d’assurance développent régulièrement de nouvelles options contractuelles pour enrichir l’offre de sorties programmées. Ces innovations visent à répondre aux besoins spécifiques des épargnants et à se différencier dans un marché concurrentiel.
Parmi les tendances observées, on peut citer :
- Les sorties programmées à montant croissant, qui tiennent compte de l’inflation anticipée
- Les sorties programmées modulables, permettant d’augmenter ou de diminuer temporairement les montants selon les besoins
- Les sorties programmées avec garantie plancher, qui sécurisent un montant minimal même en cas de baisse des marchés
Ces options, bien que parfois assorties de frais supplémentaires, offrent une flexibilité accrue qui peut s’avérer précieuse dans certaines situations personnelles.
Comparaison avec les autres modes de sortie
Dans une perspective stratégique, il est pertinent de réévaluer régulièrement la pertinence des sorties programmées par rapport aux autres modes de sortie disponibles. Cette analyse comparative doit prendre en compte plusieurs dimensions :
– Dimension fiscale : évolution comparative de la fiscalité des différents modes de sortie
– Dimension financière : rendement espéré compte tenu des conditions de marché
– Dimension patrimoniale : objectifs de transmission et protection du conjoint
– Dimension assurantielle : couverture du risque de longévité
Pour certains profils, une approche mixte combinant plusieurs modes de sortie peut constituer la solution optimale. Par exemple :
– Une sortie partielle en capital pour financer des projets immédiats
– Des sorties programmées pour assurer un complément de revenu régulier pendant une période déterminée
– Une conversion partielle en rente viagère pour sécuriser un revenu à vie
Cette diversification des modalités de sortie permet de répondre avec précision aux besoins spécifiques de chaque phase de la retraite.
Anticipation des évolutions démographiques et économiques
Au-delà du cadre réglementaire strict, les sorties programmées s’inscrivent dans un contexte démographique et économique plus large qui influence leur pertinence et leurs modalités d’application.
L’allongement de l’espérance de vie, phénomène démographique majeur, modifie la perspective temporelle dans laquelle s’inscrivent les sorties programmées. Un horizon de vie plus long implique :
– Un risque accru d’épuisement du capital en cas de sorties programmées sur une durée fixe
– La nécessité de prévoir une stratégie pour les âges avancés
– Une réflexion sur la protection contre le risque de dépendance
Par ailleurs, l’environnement économique, notamment les taux d’intérêt et l’inflation, influence considérablement l’efficacité des sorties programmées. Dans un contexte de taux bas et d’inflation modérée, comme celui observé jusqu’à récemment, les sorties programmées pouvaient offrir un avantage significatif par rapport à la rente viagère. À l’inverse, une période de forte inflation pourrait rendre plus attractives les rentes indexées ou les sorties en capital réinvesties dans des actifs réels.
Ces considérations macroéconomiques doivent être intégrées dans une vision dynamique des sorties programmées, susceptible d’évoluer tout au long de la période de retraite.
En définitive, les sorties programmées ne constituent pas simplement une option technique parmi d’autres, mais s’inscrivent dans une stratégie globale de revenus retraite qui doit être régulièrement réévaluée et ajustée en fonction des évolutions personnelles, réglementaires et économiques. Cette approche adaptative, bien que plus exigeante qu’un choix figé, offre les meilleures garanties d’adéquation aux besoins réels du retraité tout au long de son parcours.
